Julien Olivas, pourtant pas censé être champion

Julien Olivas, pourtant pas censé être champion

Il est de ces destins qui peuvent s’envoler très haut. Comme Julien Olivas quand il s’élève au bout de sa perche. Et retomber tout aussi bas. Comme la barre quand elle est touchée. Le champion grenoblois, sacré en espoir il y a quelques semaines, a connu sa plus belle émotion de sportif après des mois de galère.




« Honnêtement, je ne pensais pas du tout qu’il reviendrait à ce niveau-là. Je le lui ai dit en plus : profite de ces championnats, c’est déjà super que tu sois là » avouait Santiago Olivas, président du club de l’ASPTT Grenoble Athlétisme. C’est avec beaucoup d’affection que le père de Julien Olivas s’est livré sur la période compliquée qu’a traversé son fils sportivement : « En tant que père, ce n’est pas mon rôle de lui dire ce qu’il doit faire mais de l’accompagner dans ses choix ». Des choix qui ont mené à ce titre de champion de France espoir en début du mois à Lyon. Explosion de joie et d’émotions après de longs mois de galère.

Julien Olivas n’était pourtant même pas censé se retrouver à la halle Stéphane Diagana ce week-end de février. Lui qui a commencé l’athlétisme, par hasard : « Au départ, je m’y suis mis parce que ma mère m’a conseillé d’en faire pour courir plus vite au football » explique-t-il. « J’en suis venu à faire un stage d’entraînement avec le club qui m’a donné envie de continuer. Il se trouve que c’était avec le groupe de combiné parce que quand tu commences à l’athlé, tu touches d’abord à tout. Et après, j’ai continué ». Rapidement, les résultats suivent puisqu’en 2013, le garçon obtient une première médaille nationale lors des épreuves combinées jeunes. En 2015, il est même vice-champion de France en épreuves combinées et monte sur la plus haute marche à la perche. La consécration de plusieurs années de travail et de son talent.

Mais le post-bac est beaucoup plus compliqué à assumer. Julien Olivas entreprend, en même temps que l’athlétisme, des études à Sciences Po Grenoble où il peut compter sur son statut de sportif de haut niveau qui lui permet de valider sa première année de licence en deux ans. Mais c’est son corps, ses ischios-jambiers entre autre, qui le lâchent une première fois. « J’ai été en sélection, champion de France, tout se passait bien… et puis je me blesse. J’ai voulu revenir mais je me reblessais sans arrêt. Donc je suis un peu tombé dans un cercle vicieux où je pétais un plomb, je sortais, je faisais la fête… confie Julien Olivas. J’étais dans une période où j’étais un peu frustré de ne pas pouvoir faire ma vie étudiante comme je l’entendais. J’avais l’impression de rater des trucs… alors j’ai un peu baissé le pied ». L’athlète envisage même de tout arrêter avant de partir pour l’Espagne dans le cadre de son cursus universitaire. Mais il continue d’en faire en loisir : « J’ai repris l’athlé là-bas pour me donner un cadre de vie, me sociabiliser tout simplement et m’entretenir. J’ai eu la chance d’y trouver d’excellentes conditions et ça s’est super bien passé même si je n’ai pas disputé la moindre compétition ».

À son retour en France, en septembre dernier, l’étudiant n’est plus le même et décide de se reprendre en main : « Je me suis posé la question au bout d’un moment, je pense que ça arrive dans la vie de tout le monde, qu’est-ce qui te fait plaisir, à quoi ça sert de faire tout ça ? Je me suis dit que ça faisait 2 ans que j’avais bien profité mais j’arrivais au bout. Ça ne m’avançait pas et je me suis rendu compte qu’il me manquait quelque chose : me tuer sur les pistes ». Julien se concentre alors sur ce qu’il sait faire de mieux : se fatiguer sur les terrains d’entraînement avec ses proches du club d’athlétisme tout en gardant naturellement le contact avec ceux de Sciences Po.

Julien Olivas lors du 60m haies des championnats de France espoirs à Lyon © Tous droits Jérôme Lagunegrand
Julien Olivas lors du 60m haies des championnats de France espoirs à Lyon © Tous droits Jérôme Lagunegrand

 

Petit à petit, l’athlète retrouve ses repères et goûte à nouveau au plaisir de la compétition. Mi-décembre, il bat son record à la perche et au poids : « J’ai retrouvé un niveau au-delà de mes espérances et je me surprends moi-même alors que j’avais pas spécialement en tête ce genre de performances ». Un mois plus tard, à la mi-janvier, il se retrouve aux X Athletics de Clermont-Ferrand, un meeting international d’épreuves combinées, une première en France. Julien est repêché grâce à ses anciennes performances et prend part à la compétition : « Je me suis retrouvé en concurrence avec des gars qui ont fait les jeux olympiques, c’était fou. Dans ma tête, je me disais : « l’année dernière, t’étais tout bourré dans des bars à Madrid et là t’es avec les meilleurs mondiaux » s’amuse le sportif avec franchise. « C’est à ce moment où je me suis dit que ça paie et que je pouvais prétendre à quelque chose ».

Quelque chose. Un flou involontaire mis sur une idée à laquelle il n’osait même pas songer lui même mais qui s’est mise à germer dans un coin de sa tête sans qu’il n’y prenne forcément garde. Deux semaines après Clermont se dressent les championnats de France espoirs. Julien Olivas fait partie des cinq meilleurs performeurs de la saison, de quoi rêver d’un potentiel podium, pourtant si illusoire quelques mois plus tôt. Les étoiles s’alignent pourtant. Le meilleur français est absent à cause d’un match international, deux autres bons performeurs se blessent… et surtout, le grenoblois multiplie les succès. Au soir du premier jour, il commence à y croire : « c’est vrai que je me dis que je suis en bonne position pour un podium. Alors qu’avant la compét’, monter sur la boîte ça aurait déjà été complètement fou ! » Le licencié de l’EAG bat ses records un à un : au 60, à la hauteur, sur les haies, à la perche…

Au moment du 1000m, dernière épreuve de la journée, Julien Olivas est même premier. Le stress monte. « Franchement, j’avais envie de vomir à cause de la pression ». Derrière lui, le Lyonnais Damien Berthenet croit en ses chances : « C’est un de mes meilleurs potes dans l’athlé et on se tire souvent la bourre. Je savais qu’il allait partir fort pour me mettre la pression : j’ai plutôt des bonnes fins de courses mais quand le rythme est rapide, je craque plus ou moins ».

Julien Olivas a quatre secondes pour arriver derrière son adversaire, au pire des cas, pour être assuré d’être champion. À l’arrivée, le Lyonnais est devant et, passé la ligne, se met à crier. « À la fin, je le vois dans la dernière ligne droite, j’étais plus très lucide sur la course. Je commence à compter et je me suis dit que je suis trop en retard » confirme le Grenoblois. Un des entraîneurs de Lyon vient pourtant annoncer sa victoire mais lui ne veut pas y croire avant l’officialisation des résultats. Et finalement, pour sept points, trois dixièmes de seconde, Julien Olivas est sacré champion espoir : « Je tombe par terre. Le sentiment à ce moment-là, pfff… je repense à toutes les galères, la motivation perdue et le fait de revenir comme ça devant la famille, les amis… c’était incroyable. Je commence à réaliser mais l’émotion me fait sombrer et j’ai craqué ». Tout son groupe d’amis de Sciences Po est en effet venu exprès de Grenoble pour le supporter : « C’était important pour moi qu’ils voient ce que je fais au delà de ma vie d’étudiant, assure Julien. En première année, je me voilais la face en me disant qu’ils ne m’appréciaient que parce que je sortais avec eux… » En venant à Lyon, ils lui ont prouvé l’inverse et leur ami le leur a bien rendu. Avec 5610 points, il bat même le record du comité de l’Isère détenu jusque là par un certain Bastien Auzeil.

Même les gars qui étaient potentiellement devant moi en terme de performance avant la compétition, je fais mieux qu’eux sur ces championnats. Je n’ai rien volé. J’aurais peut-être eu le titre même s’ils avaient été là – Julien Olivas, champion de France espoir

Julien Olivas sur le podium des championnats de France espoirs à Lyon © Tous droits Jérôme Lagunegrand
Julien Olivas sur le podium des championnats de France espoirs à Lyon © Tous droits Jérôme Lagunegrand

Sa performance lui donne le droit de participer aux championnats de France élite mais l’Isérois s’y rend sans la moindre pression : « J’ai déjà réussi ma saison : je suis bien loin devant les objectifs que je m’étais fixé. Je vais y aller à fond et pourquoi pas faire un podium sur un malentendu mais je n’y prétends pas des masses. J’y vais essentiellement parce que ce sont mes premiers élites, c’est la plus grosse compét’ de ma vie ». Il y a dix jours à Liévin, Julien Olivas termine finalement 6e de l’heptathlon en salle. Dernier coup de collier avant un repos bien mérité : « Je vais prendre un peu de repos et en profiter pour voir un ami à Bruxelles maintenant » sourit-il.

Dès le mois de mars, il faudra pourtant repartir avec le CRIT, tournoi sportif entre tous les établissements Sciences Po de France, auquel prend part Julien tous les ans : « Je ne me mets pas de pression, j’y participe surtout pour le plaisir et je vais y aller tranquille : les conditions sont terribles, on est debout à crier toute la journée sans dormir ! » Puis ce sera l’entraînement en extérieur pendant trois mois avant le retour des compétitions de décathlon avec du disque, du javelot et du 400m, épreuves sur lesquelles il ne s’est pas testé depuis longtemps : « en été, toutes les cartes sont redistribuées, rien n’est acquis. Je n’ai aucune attente et les championnats de France estivaux, c’est à des années-lumières du niveau auquel je prétends être aujourd’hui » raconte-t-il modestement.

Avec son titre de champion de France espoirs en salle après un comeback aussi inattendu qu’inespéré, Julien Olivas s’est donné le droit de rêver d’une éventuelle carrière à haut niveau. « Bien sûr que j’ai envie d’y croire, s’exclame le grenoblois qui se donne deux saisons pour réussir. Mais franchement, ce serait super arrogant de dire que je veux le faire. Il faut travailler, c’est la seule chose qui compte pour moi. Bosser à fond sans pression et si ça ne marche pas, ce sera juste normal ».

Le seul droit que j’ai gagné, c’est celui de dire que je peux continuer à m’entraîner encore plus sérieusement, c’est la récompense de tout ça – Julien Olivas

Depuis septembre, le Grenoblois a retrouvé une hygiène de vie décente et un cadre plus sain qui l’ont mené jusqu’à ses performances : « c’est vrai que maintenant, je mange mieux, je dors mieux, je m’étire… (rires) C’est important de le reconnaître : pour faire du sport à ce niveau, il faut faire des sacrifices et il faut faire autrement que ce que je faisais jusqu’alors ! ». Avec onze à douze heures d’entraînement par semaine, Julien Olivas a un volume d’entraînement encore relativement faible mais compte passer à l’étape supérieure prochainement.

« Aujourd’hui je n’ai plus aucune frustration, conclut le Grenoblois. C’est ça le plus important. Tous les sacrifices que j’ai fait servent et dans ma vie, ça va. Je me suis recentré sur ce que je voulais ». À l’origine, Julien Olivas n’aurait pas du faire de l’athlétisme, il faisait du foot. Il n’aurait pas du être champion, il était un étudiant comme les autres qui sortait régulièrement en soirée. Peut-être, dans quelques années, dira-t-on qu’il n’aurait pas du participer aux championnats du monde ou aux jeux olympiques. Avec lui, rien n’est moins sûr : après tout, il y a deux ans à peine, il était encore en bas. Depuis, avec ou sans perche, il s’est envolé. Preuve s’il en est qu’avec du talent mais surtout du travail et beaucoup d’abnégation, les montagnes peuvent être déplacées.

© Photos Jérôme Lagunegrand – Site officiel / Instagram