Entretien avec Florian Jouanny, premier sportif tétraplégique européen à boucler un Ironman

Entretien avec Florian Jouanny, premier sportif tétraplégique européen à boucler un Ironman

En 2011, Florian Jouanny devient tétraplégique après une chute en ski. Mais peut toujours se servir d’une partie de ses bras. Plus précisément des triceps, de ses avant-bras et de ses mains. Vital pour un passionné de sport comme lui. Après sa sortie de clinique, c’est désormais allongé sur un handbike, dans l’eau ou assis dans un fauteuil handisport d’athlétisme que cet Isérois de 25 ans exprime sa passion pour l’effort.




C’est en 2013 qu’il décide de se fixer un objectif : être le premier tétraplégique au monde à terminer un Ironman. Une version du triathlon considérablement rallongée. Au programme ? 3,8 km de natation, 180,2 de vélo et 42,195 de course à pied.

À l’été 2017, il s’estime prêt à relever le défi. Ce sera Barcelone, le dernier week-end de septembre. Avant la course, il confiera au Dauphiné Libéré que ce défi « n’est pas une revanche sur la vie, juste une envie de montrer que l’on peut réaliser de grandes choses malgré le handicap ». Et devinez quoi ? Il l’a fait. Florian Jouanny est devenu le premier européen tétraplégique à terminer un Ironman le 30 septembre 2017. Pas le premier au monde. Parce qu’entre temps, c’est le Sud-africain Pieter du Preez qui s’est chargé d’innover en réalisant cette performance à Bussalto (Australie) en 2013.

Durant tout l’entretien, Florian Jouanny ne semblera jamais réaliser l’exploit accompli à Barcelone en 14h et 55 minutes. Il décrit sa course comme quelque chose de banal. Pourtant, ce détachement apparent ne doit pas occulter sa volonté qui l’a menée jusqu’à la ligne d’arrivée dans la capitale catalane. Car le chemin a été semé d’embûches. Lisez, vous comprendrez.

« Je crois qu’il fallait que je me fixe quelque chose que je trouve moi-même presque insurmontable. »

Florian Jouanny avec sa combinaison de natation lors de l’Ironman © Bernard Poisson

Qu’est-ce que tu faisais avant ton accident ?

Énormément de ski. J’ai obtenu une maîtrise dans ce sport. Je suis né prêt de l’Alpe d’Huez donc forcément…j’ai toujours pratiqué le ski. Je faisais aussi beaucoup de vélo de route, de la course à pied. J’avais déjà un mental de « rentre dedans », je me fixais un objectif et je donnais tout pour y arriver.

Justement, pourquoi un Ironman, pourquoi pas une course « plus simple » ?

Je me suis fixé cette objectif en 2013 si mes souvenirs sont bons. À l’époque, aucun tétraplégique n’avait réalisé d’Ironman. Du coup, c’était un super challenge. Parce qu’en plus d’être un défi personnel, personne ne l’avait encore réalisé. Bon, entre temps, un Sud-africain l’a fait. Mais au-delà de ça, Je crois qu’il fallait que je me fixe quelque chose que je trouve moi-même presque insurmontable. Oui, j’aurais pu choisir un simple triathlon. Mais ce que je voulais, c’était quelque chose de compliqué. Au début, même moi, je doutais de mes capacités à le faire. Bon, je l’ai fait donc tout va bien (sourire). En tout cas, à ce moment-là, j’avais personnellement besoin de me fixer un gros challenge.

Comment est-ce que tu as préparé la course ?

Il a fallu travailler dans les trois disciplines (natation, cyclisme, course à pied) comme tout triathlète. Et c’était forcément particulier avec le handicap. Je me suis particulièrement entraîné avec Rémi Aiguebonne, un étudiant en STAPS de l’Université de Grenoble qui m’a fait de nombreux plans d’entraînement. C’était vraiment génial de sa part. Ça m’a tiré vers le haut.

Mais comment on s’entraîne dans ton cas. Tu as des exercices spécifiques en dehors du handbike, du vélo ou de la natation ?

Je ne vais pas à la salle de sport. Par exemple, je n’ai pas d’abdos parce que mon niveau lésionnel fait que je n’ai pas de fonctionnalité au niveau de mon tronc. J’ai seulement la fonctionnalité d’une partie des muscles des bras. Donc pour me muscler, j’ai la nage ou de petits exercices de temps en temps. Mais je m’entraîne essentiellement en handbike et sur le fauteuil. Remi (Aiguebonne) me faisait faire beaucoup de fractionné. Mais aussi de la « pyramide ». Je faisais une minute d’effort et une minute de repos. Après deux minutes d’effort et une de repos…Et je revenais au point de départ.

Après il a fallu trouver la combinaison aussi…

C’est-à-dire ?

Il a fallu en faire une adaptée pour moi. Avec les jambes « soudées » (liées entre elles) avec une fermeture intégrale pour facilement rentrer dedans. Pour ça, j’ai eu de la chance, parce que Cédric Bécu s’est proposé pour réaliser la combinaison de natation. C’est lui qui l’a dessiné intégralement. Il a vu le crowdfunding que j’avais lancé sur internet pour financer une partie de mon équipement. Du coup, il s’est proposé. Il a réussi à me la livrer un mois avant la compétition. Ce n’était pas facile parce qu’il y a eu beaucoup de retouche à faire. Il a une part importante dans la réussite de ce projet ! Et puis, j’ai eu de la chance, parce que EDF m’a aidé à payer une partie du fauteuil mais aussi la combinaison.

« J’ai fait les 20 derniers kilomètres avec

un pneu du fauteuil crevé »

Est-ce que tu peux nous raconter ta course. Il faut préciser que tu réalisais le parcours avec tous les autres athlètes.

Au départ, j’ai une grosse pression. Ça, ça va, c’est normal. Pour la natation, je suis partie avec Rémi Muller, mon meilleur ami pour me guider dans l’eau. Avant la course, on a demandé aux organisateurs s’il pouvait me guider. Parce que je nageais sur le dos et donc forcément, je n’allais rien voir. Ils ont accepté. J’avais nagé quelques fois à la piscine avec lui (Rémi). Mais je n’avais jamais nagé avec lui pour me guider dans l’optique de préparer l’épreuve. Donc la veille, quand il est arrivé en avion, on a décidé que Rémi se mettrait dans mes pieds. Et qu’il me guiderait en me tapant sur le pied gauche pour aller à gauche et sur le pied droit pour aller à droite.

En plus, on est parti en premier avec les athlètes handisports. On a eu environ 500 mètres d’avance sur la première vague de valides. On a nagé environ 10 minutes seul. Après, on s’est fait rattraper par la meute. Là, ça a été le chahut, j’ai un peu bu la tasse. Mais finalement, j’ai réussi à sortir dans des conditions plutôt correctes.

L’Isérois de 25 ans lors de la « transition » natation/vélo © Bernard Poisson

Ensuite, il y a eu le handbike. Là, les 15 premiers kilomètres, ça a honnêtement été un calvaire parce que j’avais la nausée suite à la natation. Après, j’ai pu m’alimenter au bout de 60 kilomètres de vélo et enfin partir sur un bon rythme. Dans les 30 derniers kilomètres, j’ai senti que ça allait, donc j’ai accéléré.

Je suis arrivé après la deuxième transition (entre le vélo et la course en fauteuil) et ma mère vient me voir et me dit : « Tu es dans les temps ! ». Du coup, ça a renforcé ma détermination parce qu’il me restait pas mal de temps pour le marathon. (S’il ne respectait pas un temps donné, Florian pouvait être disqualifié). Mais je me rends compte que le parcours de course à pied (pour lui en fauteuil d’athlétisme) est vraiment difficile d’accès. Même avec les repérages de la veille, ça a été très difficile.

Et là, c’est le drame…

Oui, je crève à environ 20 kilomètres avant l’arrivée…Pendant 30 secondes, je me dis : « merde, je ne vais pas finir. » On a d’abord essayé de réparer le pneu. Mes proches m’ont sorti du fauteuil et mon père m’a fait attendre sur une chaise de restaurant. Mais le trou était trop important. Mais j’ai décidé de finir quand même. J’ai fait les 20 derniers kilomètres avec un pneu du fauteuil crevé. Il a fallu finir sur la jante.

Je savais que j’avais le pneu à plat. Mais je voulais tellement finir, ça me tenait tellement à cœur…Donc quelque part, je ne me suis pas trop posé la question…Même si j’avais percé les trois pneus, j’aurais fini en rampant !

Florian Jouanny: « Sur le fauteuil, la position légèrement penchée est inconfortable au bout de quelques heures. Le fauteuil, ça a été la partie la plus dure » © Bernard Poisson

Et à l’arrivée…l’émotion ?

Rémi, mon pote, a fondu en larmes. Mes parents, ma copine, tous ont pleuré. Mais moi sur le coup, je n’ai pas trop réalisé. Ce n’est que dans la nuit de dimanche à lundi où je me suis réveillé vers trois heures du matin. Et je me suis mis à pleurer tout seul comme un gosse dans mon lit. C’est à ce moment, je crois, que je me suis vraiment rendu compte de ce que j’avais fait. (Sourire)

Oui, lorsque je t’entends, j’ai l’impression que tu ne réalises pas encore, même maintenant, ce que tu as fait. Tu es quand même le premier européen tétraplégique à réaliser un Ironman. Et le deuxième au monde…

Oui, c’est vrai (rires). Je pensais le faire avant donc, j’étais confiant. Ça faisait trois ans que je le préparais. C’est une surprise dans le sens où je l’ai terminé dans les temps. Après si tu te fixes un objectif et que tu fais tout pour y arriver, bah ne t’inquiète pas, tu y arriveras !

« Je ne me considère pas comme un exemple. Mais

j’espère que ça va susciter des vocations »

Et tu avais envisagé la suite après cette Ironman ?

Avant, j’avais déjà un peu réfléchi, mais je ne savais pas trop. Je me suis aussi dit que ça dépendait du résultat. Parce-que si j’avais échoué, ça aurait été aussi différent. Pendant la course, évidemment, je me disais : « plus jamais ça, faut être barjot ». Et puis finalement, le lendemain, je me suis dit : « vivement le prochain ». Donc aujourd’hui, ce qui est sûr, c’est que je me réalignerai sur un Ironman. Et puis en Handbike, j’espère atteindre un top niveau mondial.

Tu te considères comme un exemple ?

Alors, je ne me considère pas comme un exemple. Mais j’espère que ça va susciter des vocations. Qu’il y aura des athlètes handisports qui vont se dire : « si on s’alignait sur un triathlon, si on faisait du handbike… ». Le sport peut remonter le moral des gens qui ont eu un accident, qui sont en clinique ou dans les hôpitaux. Ça montre qu’il y a un après et qu’on peut faire de jolies choses…Même en étant handicapé.