Abou Dieng : « le football m’a sauvé »

Ce mardi 10 septembre 2013, j’ai pris une grande claque. Une leçon de vie. J’ai rencontré Abou Dieng. Au delà du footballeur, Abou est un homme qui déborde de générosité, d’envie de bien faire et d’énergie. Il est joueur au GF38, fondateur d’une association, grand frère, joueur de futsal, médiateur de son quartier, il est le souffle de vie de Grenoble, l’incarnation même de ce qu’il y a de plus solidaire chez l’homme. Abou aime les humains, et quand on le connait un peu, on ne peut en retour que l’aimer encore plus.


Abou, il y a tellement de choses à dire sur toi, déjà comment vas-tu ?

Je vais très bien, physiquement, mentalement, je vais super bien. Je dirais même que ça faisait longtemps que je n’avais pas été aussi bien.

Racontes-nous ta carrière de footballeur…
Mon parcours de footballeur a commencé il y a déjà très longtemps, j’ai été formé à l’USVO, j’ai fait toutes mes classes là-bas de débutant jusqu’à sénior, c’est vraiment mon club de coeur. En fait c’est compliqué, j’ai plusieurs clubs de coeur. Avec l’USVO on a déménagé sur le quartier de Mistral quand j’avais à peu près 11 ans, je continuais de m’entrainer avec la même équipe mais j’ai commencé à jouer au futsal avec Mistral. C’est d’ailleurs là-bas que j’ai vécu mes plus beaux moments en futsal. J’ai été 3 fois champion de France, j’ai joué la Ligue des Champions, j’ai vraiment vécu des choses incroyables. Donc j’ai des souvenirs particuliers dans chaque club. J’ai commencé le football à l’âge de 6 ans. À la base je ne voulais pas faire du foot, c’est surtout mes oncles qui en faisait, du coup on m’y a mis de force. Moi, je voulais faire de la boxe !

Cette année tu évolues avec la réserve du GF38. Aspires-tu a jouer avec l’équipe première ?
Non pas du tout, si j’ai signé c’est un peu pour encadré les jeunes. J’ai eu des échanges avec les dirigeants à ce sujet, ont m’a dit qu’il manquait des personnes avec une certaine maturité en réserve. Déjà l’année dernière on avaient échappé de peu à la descente, on avaient été repêché. J’ai donc commencé à discuter avec les dirigeants le jour de Grenoble United au stade des Alpes et après les choses sont venus naturellement. J’avais déjà joué au GF38, c’est surement le destin qui a voulu que je termine là-bas. J’arrive sur la fin, à 36 ans, je ne vais pas me voiler la face. Il y a des jeunes qui arrivent, c’est vraiment bien, moi je vais jouer jusqu’à ce que mes jambes me disent stop. Tant que j’aurais l’envie je continuerais, dès que je n’aurais plus l’envie je ne vais pas trainer sur un terrain comme un âme en peine, je n’ai pas envie d’être un « has-been » du foot.

Si tu devais retenir un très bon souvenir dans ta carrière ?
Bizarrement, c’est au futsal. Les titres de champions de France avec Mistral. Ça et la coupe d’Europe, ça va rester vraiment des grands moments de ma vie. On été un club d’un petit quartier, quand on est parti faire la Ligue des Champions on est tombé contre des équipes comme le Spartak Moscou, Anderlecht, des clubs de haut calibre. C’est sur qu’on a pris que des « valises », c’était des vrais pros et nous des simples joueurs de quartier. On est parti représenter Grenoble à Ibiza en Espagne. Je retiens aussi le dernier titre de champions de France, il a une saveur particulière parce qu’en face il y avait des joueurs comme Rod Fanni. D’ailleurs je lui ai mis un petit pont (rires). C’était en finale, mais j’en garde un goût d’inachevé, on a gagné mais on a pas fait la coupe d’Europe derrière, pour diverses raisons. Mais bon ça reste un de mes meilleurs souvenirs. Après ça reste un souvenir parmi tant d’autres.

Cette année tu viens de t’engager avec le Futsal des Géants, comment s’est passée ton intégration au sein du groupe ?
J’ai été plus que bien intégré. C’est vrai que je connaissais déjà à peu près tous les jeunes qui jouent là-bas, il y en a beaucoup que j’ai vu grandir, je connaissais aussi bien le président du club, l’entraineur. Ça s’est donc fait tout naturellement, j’avais en plus envie de reprendre le futsal. Mais c’est vraiment pour leur donner un coup de main avec mon expérience, parce qu’au niveau du jeu ils n’ont certainement pas besoin de moi, ils sont au dessus ces petits. Le premier match que j’ai joué avec eux j’étais perdu ! Mais je pense que je peux leur apporter un peu de maturité, d’expérience. Et un peu ma joie de vivre aussi (rires). C’est vraiment un club qui mérite d’être beaucoup plus médiatisé, ils sont parti du plus bas et de jour en jour ils grandissent. Aujourd’hui le club est très bien structuré, il a plusieurs catégories, beaucoup de choses se mettent en place et tout ça grace à des bénévoles qui prennent sur leur temps libre pour donner du plaisir aux jeunes. C’est vraiment un grand plaisir de les rejoindre, je n’ai pas hésité une seule seconde. Je veux vraiment les remercier d’ailleurs, c’est le top du top ce club.

Dans la vie, tu n’es pas que footballeur, on parle souvent de toi comme d’un médiateur, comme d’un grand frère…
C’est un peu naturel chez moi, j’ai un vécu, j’ai vu beaucoup de choses. J’ai vécu des drames au niveau de ma famille, de la famille de mes amis qui m’ont surement forgé un caractère de protecteur. Déjà je suis l’ainé de ma famille, j’ai pratiquement élevé mes petites soeurs tout seul avec ma mère donc ça a beaucoup joué. J’ai aussi perdu beaucoup d’amis, de morts naturelles, de morts violentes, j’ai donc vite pris conscience de beaucoup de choses. Nous ne sommes rien sur terre, on peut très vite partir, il peut vite nous arriver quelque chose. J’ai donc voulu tendre la main à certaines personnes, j’ai voulu essayer de faire un peu avancer les choses. Malheureusement, et je répète assez souvent, les pouvoirs publiques ont baissé les bras dans les quartiers. On retiens seulement les faits divers, mais ces jeunes, avant d’en arriver là, ils sont passés par beaucoup de stades. Je ne vais jamais taper sur un jeune qui fait des conneries, pour arriver à la délinquance il y a un long cheminement, on ne devient pas délinquant du jour au lendemain. C’est une accumulation de faits. Ces jeunes se sentent rejeté. Beaucoup de personnes vont dire que c’est un peu facile de dire ça, mais j’ai vécu ce genres de choses, je sais de quoi je parle. La discrimination je l’ai subie et je la subie encore. Donc à travers mon vécu, j’essaye de leur inculquer certaines valeurs et pour le moment j’ai beaucoup plus de positif que de négatif. Ces jeunes-là, dès que tu les aides un peu, ils ont vraiment envie de bien faire.

Tu as également monté ton association…
Oui, elle s’appelle Secteur 6 Street. À la base cette association devait servir pour les cultures urbaines sur le secteur 6 (Arlequin, Baladins-Géants, Village Olympique, Grand’Place), mais au final on s’est diversifié, on fait aussi dans le solidaire maintenant. J’ai remarqué qu’il y avait beaucoup de gens dans la rue, donc un jour, avant même de créer mon association, j’ai commencé à faire des collectes de vêtements et à les redistribuer aux personnes dans la rue. Par la suite, avec mon association, j’ai commencé à faire des maraudes. Et maintenant il y a beaucoup de gens, que j’ai connu en faisant ces maraudes, qui prennent le relai. C’est surtout l’hiver qu’il faut se mobiliser avec le froid. Au départ je partais un peu à l’aventure, maintenant je suis rodé, je sais où les trouver, je pars avec mes Thermos de café, mes gants, mon petit sac et j’y vais. Dans cette association je peux également aider des jeunes, dans la musique par exemple. Je leur donne des contacts, j’ai commencé à avoir pas mal de contacts avec les médias, à GreNews, au Dauphiné, à TF1 même maintenant. Je joue un peu encore mon rôle de grand frère.

C’est devenu un cliché, mais penses-tu que le football peut être une porte de sortie pour ces jeunes des quartiers ?
Sincèrement, le football m’a sauvé. À un certains moment de ma vie je n’étais pas vraiment net et le football m’a aidé. Quand j’ai arrêté de faire des conneries, la chose dans laquelle je me suis mis à fond c’est vraiment le foot. C’est d’ailleurs pour ça que je joue encore au foot aujourd’hui, j’ai mis du temps à me mettre vraiment à fond dans ce sport. Au début je restais sur mes acquis, j’allais aux entrainements et derrière je mangeais au McDo, des Kebabs. Et avec l’âge, je me suis dit « mais tu fais n’importe quoi Abou ». Du coup j’ai commencé à faire de la musculation, à manger plus équilibré et je me suis rendu compte qu’au niveau du mental, le sport est une aide fondamentale. Quand tu es bien dans ton corps, mentalement ça suit forcement. Le football reste le sport le plus facile à pratiquer. Il y a des terrains de foot de partout, il te suffit d’un ballon, tu peux même jouer dans la rue, avec une paire de basket, même pieds nus. Donc ça restera toujours un moyen d’insertion, mais c’est dommage que ce soit un peu le seul. Il y a donc un cliché, les jeunes footballeur sont toujours issus des quartiers, c’est souvent le seul moyen qu’ils ont de s’en sortir. Il faudrait qu’il y est plus de bibliothèques ! Que les jeunes lisent un peu plus, qu’ils lâchent un peu les PlayStation, la télévision. Parce qu’il n’y a pas que le foot dans la vie, si tu finis avec une carrière pro derrière ça va, mais sinon il faut bien remplir le frigo.

Est-ce que tu dors de temps en temps ?
(Rires) Et bien cet été j’ai tout coupé ! J’ai coupé mon association, le football, j’ai coupé mon téléphone, je ne répondais pas trop. Parce que bon, ma femme craque un peu des fois, mais elle me soutien vraiment, c’est mon premier soutien avec ma mère. C’est vrai que des fois ce n’est pas évident, entre mon boulot à la poste le matin, l’association l’après-midi, l’entrainement le soir de football ou de futsal, des fois les maraudes le soir, des fois je dois assister aux concerts que mon association soutient. C’est vrai que ça offre des journées bien remplies. Mais bon je suis en bonne santé, j’ai mes deux bras, mes deux jambes, j’en profite. J’ai perdu des amis qui sont partis jeunes, il auraient sans doutes aimé être à ma place, donc tant que je serais en bonne santé, je ferais mon maximum pour profiter et pour aider les gens. Je veux que le jour où je parte on se dise « c’était vraiment un mec bien ». Je ne dis pas que je fais des choses extraordinaires mais je veux marquer mon époque. Mon objectif c’est d’aider le maximum de personnes. Si je pouvais sauver tout le monde je le ferais. Je suis comme ça, j’ai vraiment un grand coeur, je suis un idéaliste. Le solidaire est vraiment une chose importante, on peut tous apprendre les uns des autres.

Il y a peu de temps tu as réalisé un rêve de gamin, jouer un match face à Zinédine Zidane…
Déjà je voudrais remercier Pierre-Jean Garcia, le coach d’Eybens. Il devait choisir 4 joueurs pour ce match, il aurait pu ne pas me mettre sur cette liste vu que je voulais peut-être arrêter le foot. Je remercie aussi Coach Olivier (Saragaglia) qui m’a mis dans la zone de jeu de Zizou. Personnellement, c’est pire qu’un rêve de gosse. Si un jour on m’avait dit que j’allais être au marquage de Monsieur Zidane, j’aurais surement rigolé. Il y avait aussi Eric Carrière, Olivier Dacourt. Quand tu m’as parlé de souvenir de footballeur tout à l’heure je n’y est même pas pensé, ce n’est pas un souvenir de footballeur, c’est un souvenir d’homme. C’est encore au dessus. J’ai pu faire une photo avec lui, c’est ma photo de profil Facebook et je n’y toucherais plus jamais ! Il m’a même dit « je prend une photo avec toi parce que tu taquines un peu la balle, tu aimes bien le ballon ». Ça va rester toute ma vie.

Un dernier mot pour finir…
Je fais un grand « Big Up » à tous ceux qui me soutiennent. Il y a beaucoup de monde, je ne vais pas pouvoir faire la liste, ils sont si nombreux. Il y a un journaliste qui m’a beaucoup aidé, Bilel Ghazi, que je remércie beaucoup. Je tiens aussi sincèrement à remercier tous les coaches que j’ai connu dans ma carrière, il y en a eu beaucoup, j’ai vraiment une pensée pour chacun d’eux. Si j’ai réussis a jouer à un bon niveau dans ma vie, c’est en grande partie grace à eux. Il y a eu des bons et des moments c’est normal, mais avec le recul, je n’en retiens que du positif. Je remércie tous mes amis, qui ont toujours été là dans les bons comme dans les mauvais moments, ma femme, ma mère. Les médias aussi, comme Cédric Bruno de Footisère qui a toujours une pensée pour moi, pour mon ami Stéphane Echinard du Dauphiné Libéré, je remércie également Métro-Sports bien sûr, Frédéric Sougey. Et je remércie surtout ma ville, Grenoble. Je suis soutenu ici, c’est ma plus belle preuve de reconnaissance. On en parle tout le temps dans les faits divers, mais c’est une superbe belle ville Grenoble. Je ne peux pas remercier tout le monde, il y en a tellement, mais j’ai vraiment une pensée pour chacun d’eux. Pour le mot de la fin, une grosse pensée pour le Futsal des Géants, c’est une deuxième famille pour moi maintenant.