Le regard d’un jeune rugbyman sur sa discipline – Julien Cressens
Nous avons rencontré en décembre dernier le jeune joueur Julien Cressens (Chambéry, ex-FCG). Si l’interview avait pour principal objet d’aborder sa pratique « étudiante » du rugby (>> Lire : Julien Cressens, l’anomalie), la conversation s’est rapidement enrichie de plusieurs sujets autour de la discipline. Le futur journaliste – en tout cas c’est tout le mal que l’on lui souhaite, nous a apporté son éclairage « interne », nourri par ses expériences personnelles et malgré son âge fort d’un certain recul.
Julien, peux-tu nous dire quelques mots de ton parcours rugbystique ?
J’ai commencé à 5 ans, à Chambéry, d’où je suis originaire. Je suis arrivé à Grenoble en -16 ans et j’y suis resté jusqu’à l’an dernier. J’ai joué à l’ouverture jusqu’en cadet puis je suis passé centre, poste que j’occupe toujours aujourd’hui. Je suis également buteur, c’est une mission que j’adore faire et qui me tient à cœur.
Et tu es de retour à Chambéry (Fédérale 1), depuis l’été dernier…
C’est un peu un retour « chaotique », on va dire. Je suis parti pour raisons personnelles de Grenoble où j’étais conservé et j’ai voulu aller tenter ma chance à Chambéry, qui m’avait contacté, mais ça ne s’est pas très bien passé. Disons que je ne suis pas vraiment en adéquation avec le projet du club. Chambéry vise la pro D2 donc c’est compliqué pour eux de faire jouer des jeunes. J’ai fait toute la préparation estivale, j’ai joué les amicaux mais je n’ai pas eu la chance de jouer en F1 (l’interview a été réalisée en décembre dernier, ndlr).
La passion pour le journalisme prend également le dessus sur la passion pour le rugby, ce dernier devient plus anecdotique pour moi. Après c’est peut-être un regret de n’être pas resté un peu plus à Grenoble même si j’ai été déçu de ne pas avoir intégré le groupe pro lors de la préparation estivale. C’est un choix que je comprends. Il y a peu d’élus mais on se dit derrière qu’on ne fait pas forcément parti des plans sur le long terme. Mais en restant j’aurais pu jouer en Espoirs avec mes potes et je me serais fait plaisir.
Tu dis que le rugby est devenu anecdotique du fait de tes études. C’est une décision temporaire ou définitive ?
C’est vraiment l’école la priorité, donc on peut dire que j’ai tiré un trait définitif sur le rugby « pro ».
Ton exemple, pourtant en Fed1, est finalement très représentatif des difficultés pour les jeunes joueurs de se faire une place aujourd’hui, encore plus dans les niveaux supérieurs…
Pour tout te dire je suis en collocation avec Lilian Saseras qui me semble être l’exemple parfait des difficultés des jeunes à jouer au très haut niveau aujourd’hui en France. L’exemple parfait parce qu’il a été très vite intégré au groupe pro, très jeune. Ce qui l’a laissé espérer beaucoup et aujourd’hui cela ne va pas forcément aussi vite que ce qu’il pensait. C’est un long parcours pour se faire sa place, gagner du temps de jeu, démontrer qu’on a le niveau. Il y a vraiment beaucoup de concurrence et ce n’est pas évident de se faire sa petite place quand on a 20/21 ans.
Il faut presque systématiquement compter sur les blessures ou les matchs de Challenge aujourd’hui pour avoir sa chance. Et encore, quand tu es numéro 3 ou 4 dans la hiérarchie même là tu n’auras peut-être pas beaucoup l’opportunité de joueur. Ou alors il faut être une star, quand tu vois les jeunes qui arrivent aujourd’hui à débuter dans leurs clubs, à l’image de Fickou, il faut être presque un international en puissance dès que tu démarres.
La solution consiste-t-elle à aller faire ses armes aux étages inférieurs, quitte à intégrer le Top 14 plus tardivement ?
Si tu pars en F1, je pense que tu ne reviens jamais. La pro D2 semble être le meilleur compromis pour les jeunes et encore on voit avec l’exemple de Joannes (Henry, son ancien coéquipier à Grenoble), que dans une grosse écurie comme Bayonne ils sont trois demi-de-mêlée de bon niveau donc ça lui arrive de rejouer en Espoirs et ça limite forcément les opportunités de jouer.
Sur un plan personnel est-ce que tu t’étais fixé un « plan de carrière », des objectifs précis pour jouer à tel niveau avant tel âge par exemple ?
Je n’avais pas de plan de carrière, non; je laissais faire les choses et je tirais un bilan après. J’étais aspirant au centre de formation donc l’unique but c’était d’intégrer le groupe pro mais au delà de ça je n’y réfléchissais pas.
Au football, on a coutume de dire que dans les bons centres de formation il n’y a que 3 ou 4 joueurs par promotion qui arrive à percer au plus haut niveau français. Est-ce que cela te semble pertinent pour le rugby ?
Je pense que tu es généreux. Comme on le disait sur les blessures je pense que ça dépend déjà en partie des circonstances. Un joueur va avoir une opportunité, pour différentes raisons, ou ne pas l’avoir. Et ça ça joue beaucoup. De ma génération à Grenoble au niveau des certitudes à 100% je pense à Dylan Jacquot, qui avait joué à Brive l’an passé mais qui s’est les croisés. Il a vraiment d’énormes qualités physiques. Il sera professionnel, c’est sûr ! A Grenoble ou pas, ça je ne sais pas. Il a la mentalité, il a le comportement, il a tout Ensuite je dirais bien Thomas Jolmes aussi mais je pense qu’il risque à un moment de privilégier ses études, c’est en tout cas quelque chose qui lui tient à coeur et une donnée qu’il faut intégrer. Après c’est plus difficile à dire, tous les critères n’étant pas sportifs. Le petit facteur réussite est important, être là au bon moment, saisir sa chance, avoir des gens qui exploitent au mieux ton potentiel et tes qualités. Ce sont beaucoup de choses qui rentrent en compte.
Ton cas et celui de Thomas Jolmes sont intéressants. Est-ce que la professionnalisation du rugby n’a pas entraîné un intérêt moindre pour les études chez les joueurs ?
En ce qui me concerne on m’a toujours inculqué la valeur de l’école, donc ça a toujours été dans ma tête de privilégier les études. Après, au centre il ne faut pas se le cacher, il y en a qui n’en ont strictement rien à faire. Ils font des études parce que c’est inscrit dans le cahier des charges mais il n’y aucune volonté de les mener à terme. Je ne pense pourtant pas que rugby de bon niveau et sérieux dans les études soient incompatibles. Lilian (Saseras) ou Clément (Gélin) prouvent même le contraire cette année en menant de front leur saison avec leur études à GEM même si bien sûr il y a des aménagements spécifiques qui leur permettent de concilier les deux. C’est plus une question de choix personnel, d’éducation.
Au centre, il y a en gros 4 heures d’entraînement quotidien, ce qui est déjà pas mal mais ce qui laisse le temps de travailler le scolaire à côté. Certains préfèrent juste choisir la voie de la facilité. Un côté « Pourquoi se faire chier », mais en oubliant que même dans le meilleur des cas le rugby ne dure pas ad vitam eternam.
Le FCG a pourtant l’air d’accorder une place importante aux études et à la professionnalisation de ses joueurs ?
Pour ceux qui désirent faire des études le club pousse, oui. Jérôme Vernay, le directeur sportif du centre, et même quelqu’un d’exceptionnel de ce point de vue là. Mais cette volonté doit être partagée et émanée des joueurs eux-mêmes.
Des joueurs… et peut-être des gens qui les conseillent… Est-ce qu’on commence par exemple à voir des agents autour des jeunes joueurs qui sont encore en formation ?
Moi je n’en ai jamais consulté mais oui il y en a de plus en plus. Après, même quand tu es jeune mais que tu as un contrat j’estime que c’est normal d’avoir un agent qui veille sur tes intérets. Le truc c’est que certains jeunes au centre, sans contrat, avaient des agents ce qui est nettement plus questionnant. On est entrain de professionnaliser le rugby à un niveau où il n’est pas pro. Aujourd’hui des équipes de niveau F2 ont recours à des agents.
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