Lou Noël-Rivier : « Venez voir du sport féminin ! »
Engagée pour la reconnaissance du sport féminin, Lou Noël-Rivier est une joueuse de rugby au parcours inspirant. La drômoise mène de front ses études, sa carrière avec son club des Amazones et sa participation à des compétitions internationales avec l’Equipe de France de rugby à 7. Elle s’est livrée sur cette vie rythmée pour Métro-Sports dans un entretien « long format ».
Lou, tu as commencé le rugby tardivement avant que ta carrière ne s’emballe. Peux-tu nous indiquer ton parcours sportif ?
« Tout à fait, j’ai commencé le rugby sur le tard puisque ma première inscription en club remonte à mes 15 ans. J’avais entendu parler de l’existence d’une section féminine à Bourg-les-Valence qui se situe à proximité de Montélimar, mon village d’enfance. J’ai pu jouer mes trois saisons en cadette là-bas tout en connaissant mes premières sélections en Equipe de France moins de 18 en rugby à 7. Sous le maillot tricolore, j’ai pu disputer deux étapes du Championnat d’Europe avec un sacre à la clé, les Jeux Olympiques de la Jeunesse à Buenos Aires. Cela m’a permis d’intégrer progressivement le circuit du haut niveau féminin et de rentrer au Pôle France en parallèle. J’ai ensuite connu quelques sélections avec l’Equipe de France « développement » avant de pouvoir être sélectionnée avec l’Equipe de France « A » pour un tournoi international à Dubaï. C’est une étape importante dans ma carrière qui m’as permis par la suite de décrocher un contrat fédéral et d’être donc salariée de la Fédération de Rugby.
En parallèle de ta carrière dans le rugby, tu vas poursuivre tes études de kinésithérapeute. Peux-tu nous parler de cette double casquette étudiante / athlète ?
« J’arrive à Grenoble pour faire des études de Sciences et Techniques des Activités Physiques et Sportives (STAPS) en 2018. Je rejoins donc les Amazones à ce moment-là mais une blessure à l’épaule va m’éloigner des terrains une bonne partie de la saison. Pour mes études, j’ai quitté Grenoble à l’issue de cette saison pour rejoindre Bobigny où j’évoluais avec le club l’AC Bobigny 93 Rugby (à XV) et avec le Pôle France (à 7). L’été dernier, j’ai eu l’opportunité de revenir habiter à Grenoble grâce au nouveau fonctionnement mis en place depuis les Jeux Olympiques de Paris. En parallèle de tout cela, je continue mes études de kinésithérapeute. Je bénéficie d’un arrangement en tant qu’athlète de haut niveau qui me permet de mener mes études en 8 ans au lieu de 4 normalement. Je travaille énormément à distance afin de me déplacer uniquement pour les partiels. C’est une organisation particulière mais qui me correspond bien !
Tu as évoqué précédemment le fait d’être salariée de la Fédération de Rugby. Ce n’est pas le cas de toutes les joueuses évoluant dans l’élite du rugby féminin actuellement. Quel regard portes-tu sur cela ?
« Pour donner un chiffre parlant, on doit être seulement une quarantaine dans ce cas-là. A l’échelle du championnat élite, cela représente environ 5% des joueuses qui possèdent un contrat fédéral … En ce qui concerne les Amazones, on n’est même pas semi-professionnelles, on est donc des amateures qui jouent à très haut-niveau. C’est paradoxal mais c’est la triste vérité … Les filles travaillent ou étudient la journée et elles s’entrainent sur la pause-déjeuner ou dès qu’elles ont un créneau qui le permet. Il faut rajouter à cela les déplacements dans la France entière le weekend donc forcément c’est une vie mouvementée. Je suis admirative de l’implication et de l’impact sur la vie personnelle de mes coéquipières qui ne sont pas sous contrat. On est trop peu à en vivre et c’est un combat que l’on se doit de mener …
Etant membre de l’association Alice Millat, je te sais très engagée dans la reconnaissance du sport féminin. Selon toi, quels sont les combats en faveur du sport féminin qui doivent encore être menés ?
« Les combats sont multiples et les domaines concernés nombreux. Autour de nous, les personnes ont parfois du mal à citer des sportives de haut niveau, c’est un problème que l’on ne retrouve pas chez les athlètes masculins. Cela témoigne d’un manque de visibilité du sport féminin. Il y a un énorme travail à faire sur cela d’autant plus que tout est imbriqué. Ce manque de visibilité entraine un manque de moyens et donc des carences financières dont on est les premières victimes. Pour donner un exemple, seulement 5 matchs du championnat élite féminin sont retransmis et malgré les bonnes audiences réalisées sur ces rendez-vous, il n’y a pas une médiatisation digne de ce nom dans la durée. L’autre face du problème concerne la prise en charge médiatique du sport féminin. Bien-sûr il existe des couvertures médiatiques sérieuses et adaptées mais ce n’est pas toujours le cas. Certains médias préfèrent s’intéresser aux tenues des sportives, à leur vie privée, à la taille de leur jupe … et continuent ainsi à propager des clichés sur le sport féminin qui nuisent à son développement. Au final, quand tu dresses un bilan, tu te dis qu’il n’y a pas beaucoup de points sur lesquels je me sens égale à mon homologue masculin. Pourtant, on est tous les deux des athlètes, on pratique le même sport et on évolue dans un championnat élite … »
Au-delà d’une saison sportive aboutie, les Amazones ont connu des péripéties au niveau extra-sportif. L’arrivée de Laurent Pélissier semble permettre de retrouver une certaine stabilité. De quel œil vois-tu cette changement au niveau de la présidence ?
« A Grenoble, on a un projet sportif très solide et des résultats intéressants (5e) donc les filles arrivent à s’en sortir avec très peu de moyens mis à leur disposition. Pas moins de 6 joueuses ont été sélectionnées avec l’Equipe de France pour préparer la Coupe du Monde en Angleterre, c’est une preuve de la réussite sportive de l’équipe. C’est un collectif uni qui est attaché à Grenoble et c’est aussi sa notre force malgré les obstacles qui se dressent sur notre chemin. On se devait tout de même d’alerter sur nos conditions et les difficultés rencontrées au quotidien. C’est pour cela qu’on avait évolué avec un maillot rose contre Lyon (le 11 mai, ndlr), c’était une façon de marquer le coup et d’envoyer un signal d’alerte. Depuis, un changement de gouvernance a été opéré avec l’arrivée de Laurent Pelissier à la tête des Amazones. On a senti qu’il avait pris la relève avec plaisir et avec l’envie de bâtir quelque chose d’intéressant qui va dans le bon sens. Je pense que c’est ce qui nous manquait pour assurer une saison dans l’élite. Je suis vraiment curieuse de voir ce que l’avenir nous réserve mais j’ai l’impression qu’on est enfin sur la bonne voie ! Cette équipe devrait enfin avoir la reconnaissance et le soutien qu’elle mérite. »
Aujourd’hui, tu évolues davantage sur du rugby à 7 que sur du rugby à XV. Peux-tu nous expliquer ce choix de privilégier cette pratique et du rythme de vie que tu mènes avec tes nombreuses sélections en Equipe de France ?
« Ma carrière se résume presque uniquement au rugby à 7. Cette année, j’ai disputé qu’un seul match avec les Amazones par exemple. Ayant débuté le rugby sur le tard, l’aspect tactique du rugby à XV ne m’était pas familier et puis j’ai directement accroché avec le rugby à 7. Polyvalence, espace, instinct, rythme infernal … c’est vraiment cela qui m’a plu. Mon rythme de vie est forcément atypique. Pour donner un ordre d’idées, sur un mois, je passe trois semaines avec l’Equipe de France et une semaine à mon domicile grenoblois. J’aime dire que le rubgy à 7 c’est la vie dans les valises et le décalage horaire ! »
L’été dernier, tu as participé aux Jeux Olympiques de Paris. J’imagine que ce sont des moments rares et des souvenirs gravés à jamais en toi. Quel regard portes-tu sur ta participation ?
« C’est une immense fierté d’avoir participé à mes premiers Jeux Olympiques et en plus à la maison. La cérémonie d’ouverture sur les bords de Seine par exemple c’était un moment suspendu qui m’a vraiment marqué. Je n’avais pas imaginé non plus pouvoir jouer au Stade de France de ma vie et pourtant on a pu évoluer devant un public nombreux. Forcément le Stade de France plein c’est quelque chose d’incroyable et de presque irréel quand tu vis cela de l’intérieur. Sur le plan sportif, je garde quand même un goût amer … notre objectif était clairement de remporter la médaille d’or et on finit avec une 5e place. La défaite contre le Canada en quart de final est encore difficile à digérer aujourd’hui. Le rugby à 7 est un sport intransigeant donc chaque erreur coûte cher et on en a payé les frais sur cette rencontre-là. Donc voilà, j’ai vécu des Jeux Olympiques de Paris mitigés mais de pouvoir les vivre avec ma famille à mes côtés c’était quelque chose de très fort tout de même ! »
Peux-tu nous parler un peu des échéances à venir pour toi ?
« Je suis actuellement en stage pour mes études de kinésithérapeute donc je suis tournée vers mes études pour le moment. Je vais retrouver le chemin de l’entrainement au mois d’août avec le FCG pour préparer le tournoi à 7 de Pau (une étape du Super Sevens, ndlr). C’est un des seuls tournois à 7 de la saison pour les clubs donc je suis ravie de pouvoir y participer avec mes coéquipières grenobloises. On devrait passer un bon moment ! Dans le courant du mois de septembre, je rejoindrai l’Equipe de France avec un premier tournoi à Dubaï en décembre. L’objectif sera d’être les plus performantes possible après le changement de staff à la suite des Jeux Olympiques de Paris. Les Jeux Olympiques de Los Angeles en 2028 sont déjà dans un coin de notre tête. »
Lou, je te laisse le mot de la fin. Quel message souhaites-tu faire passer à nos lecteurs ?
« Regardez du sport féminin ! Actuellement, il y a l’Euro de football par exemple. On a besoin de visibilité et cela passera forcément par le public. Dans les stades ou à la télévision, votre soutien est crucial. A Grenoble, on a la chance d’avoir une équipe de foot féminin qui va retrouver la D2 la saison prochaine, une équipe de rugby qui joue en première division … On espère donc voir les tribunes de Lesdiguières pleines et peut être celles du Stade des Alpes également puisqu’on n’a pas encore eu l’occasion d’y évoluer mais c’est quelque chose que l’on espère voir se concrétiser … »