[Série #1] Le football professionnel prêt à renaître de ses cendres en Haute-Savoie ?
Premier article de notre série sur le football en Haute-Savoie réalisée par nos journalistes Alexandre Muffon et Frédéric Sougey. Suivront des focus sur les clubs « vitrine » ainsi que des entretiens avec les différents acteurs du territoire (dirigeants, sportifs, politique…). Nous rajouterons les liens des futurs articles au fur et à mesure dans ce papier.
- Steven Pinto Borges (FC Annecy) : « Je n’ai pas envie de m’arrêter là »
- Interview de Denis Allard, président du District
Cinq ans après la relégation d’Evian Thonon Gaillard en Ligue 2, qui amorçait le début de la fin pour le club haut-savoyard, trois équipes du département joueront au niveau national la saison prochaine. Le football professionnel avait quitté ces montagnes, peut-être plus pour très longtemps. Annecy, qui prêtait son stade à l’ETG, fort de son passé historique, est enfin parvenu à monter en N1. Derrière lui, Rumilly-Vallières, un club qui avance à son rythme et à son échelle, n’avait pas prévu de jouer si tôt en N2 va défendre chèrement sa peau. Enfin, le (petit) dernier veut rattraper son retard. Thonon-Evian-Grand Genève évoluera en N3 et prévoie de rapidement gravir les échelons en comptant sur les anciennes infrastructures d’entraînement de l’ETG. Trois clubs, trois projets, trois identités différentes avec en ligne de mire la Ligue 2 dans quelques années.
L’héritage d’Evian Thonon Gaillard
Quatre saisons en Ligue 1, entre 2011 et 2015, des personnalités marquantes, des moments mémorables… Et au final 3 lettres qui restent profondément ancrer dans l’imaginaire collectif local. L’ombre de l’ETG plane toujours sur le football haut-savoyard, quatre années après sa liquidation judiciaire.
Enrichi par quelques changements de nom et fusions, Thonon Évian Grand Genève Football Club en est son héritier direct, bâti sur ses cendres. Le site officiel du club ne manque d’ailleurs pas de rappeler les hauts-faits des « Roses » : des titres en L2 et National, une finale de coupe de France… A sa tête, Patrick Trotignon, ancien président de l’ETG, assure le lien et les signatures, au fil du temps, des Eric Tié Bi, Corentin Tirard et autre Morgan Kamin sonnent comme des retours aux sources.
Mais l’héritage d’Evian TG va bien au-delà de cette filiation évidente. « Nos identités n’ont rien à voir, nos projets n’ont rien à voir mais eux ont tracé un sillon qui nous a inspirés », explique Stéphane Loison. Pour le président du FC Annecy, son club a su s’appuyer sur l’expérience de l’ « OVNI ETG », comme il le définit.
« Ils ont prouvé aux tissus économique et politique ainsi qu’à la population qu’il était possible d’avoir du haut niveau en Haute-Savoie. Ils ont créé une vraie effervescence. On en bénéficie, on a la chance d’avoir un gros tissu de partenaires dont on a pu bénéficier au moment où notre fusée arrivait à un niveau intéressant, alors qu’eux se cassaient la figure dans le même temps. On a en quelque sort pris leur relais avec une identité locale encore plus marquée, du travail auprès des jeunes. On a hérité de tout ce travail. »
En ouvrant la voie, Evian Thonon Gaillard a aussi dû essuyer les plâtres. Stéphane Loison estime également qu’Annecy a pu retenir les leçons de ce récent passé et ainsi éviter les erreurs commises par son prédécesseur. « Il y a eu une guerre d’ego à l’ETG. C’est frais, encore dans la mémoire des gens et tout le monde est vigilant là-dessus. Il y a donc peu de place pour qu’émerge ce type de problème, on n’a pas envie de revivre la même chose.»
L’épopée des Croix de Savoie a donc ouvert des portes et défini un chemin à suivre pour ses « héritiers ». Mais elle a aussi permis de susciter des vocations chez une jeunesse haute-savoyarde nourrit aux exploits des Barbosa, Sorlin, Bérigaud et autre Cambon.
« Quand l’ETG était en Ligue 1, ils nous facilitaient l’accès avec les enfants, on allait au stade avec l’école de foot, on portait les couleurs de l’ETG. Et les enfants adoraient ça », se souvient Laurent Zanchi directeur sportif au club d’Epagny dont l’équipe fanion évolue en 5ème division de district : « Ca portait un engouement de proximité, ça donnait un rêve « accessible » même si au final seul 1 ou 2% des enfants pouvaient le mener à terme. »
Un sentiment partagé par Gregory Ferrari, entraîneur du FC Chéran (1ère division district) qui parle d’ « émulation », de « belle vitrine » et d’une proximité qu’il estimait essentiel et qu’il retrouve aujourd’hui chez les clubs phares du département qui savent se développer sans oublier la base. Sans doute une clé de leur réussite et incontestable un autre élément hérité des Croix de Savoie.
Trois projets attractifs et réussis
Pour réussir à monter en puissance et gravir les échelons, les clubs haut-savoyards ont dû dessiner des projets sportifs sérieux. Il a fallu attirer et convaincre des joueurs d’expérience pour venir s’investir dans ces divisions amateurs. Signer des grands noms du football français a aussi permis de médiatiser les ambitions des équipes du département.
Au moment de la disparition de l’ETG, Annecy a récupéré dans son effectif Cédric Barbosa et Olivier Sorlin, deux titulaires indiscutables en Ligue 1 et Ligue 2 avec Evian. Plus récemment, le FCA a aussi signé Anthony Le Tallec pour animer la pointe de son attaque, et l’ancien grenoblois Steven Pinto Borges est venu également apporter son bagage, lui qui avait connu deux montées successives avec le GF38 espérait la même chose avec sa nouvelle écurie. « C’était un peu un projet à la Grenoble, un projet qui m’anime et me fait avancer. J’ai fait un sacrifice financier pour venir mais je savais ce que je voulais. Je cherchais l’adrénaline, le challenge », exprime le milieu de terrain qui espère voir Annecy encore plus haut : « Je n’ai pas envie de me la couler douce. Je ne suis pas dans cet état d’esprit là. Certains joueurs n’ont jamais connu la N1, ça sera un plaisir de leur faire découvrir ça. Il va falloir répondre présent et faire le maximum pour avoir un jour un club professionnel en Haute-Savoie. »
Durant cette intersaison, Morgan Kamin a quitté le club annécien… direction Thonon, où il va retrouver le domaine de Blonay qu’il connaît bien puisque c’est dans cet ancien centre d’entraînement de l’ETG qu’il a fait ses premiers pas en tant que professionnel. Encore un symbole pour le TEGGFC qui veut se positionner auprès des aficionados de feu Evian Thonon Gaillard comme en étant le digne successeur. Mais le club du Chablais ne compte pas que sur cette symbolique pour briller, non. Il a enrôlé des joueurs qui ont connu le plus haut-niveau comme Alexis Thébaux, le portier passé par Brest notamment, est titulaire dans les buts haut-savoyards. Devant lui, Thonon a misé sur Emmanuel Imorou, l’ancien latéral de Caen. Le défenseur a retrouvé des figures familières comme Patrick Trotignon, président du club, qui lui avait fait signer son premier contrat pro à Châteauroux. En confiance, Imorou s’engage et ne regrette « ni au point de vue sportif, ni pour la vie familiale ». Il faut dire que les bords du lac Léman offrent un cadre exceptionnel, et que le centre d’entraînement peut en faire pâlir plus d’un : « On a tendance à vendre du rêve pour qu’une personne signe, mais là c’était confirme à ce que j’attendais. Beaucoup de clubs professionnels n’ont pas ces infrastructures, il y a des choses que j’ai eu ici qu’on n’avait pas à Caen par exemple. »
Du côté de Rumilly, les noms et les équipements sont moins clinquants, à l’image du projet du club : plus discret et familial. Un autre rythme, des ambitions différentes. Le GFA est moins pressé que ses voisins. Ca ne l’empêche pas de se reposer sur des joueurs talentueux et rodés à ces championnats nationaux. C’est le cas de Vincent Di Stefano, formé à Grenoble, passé par la réserve de Montpellier, par Sedan (National) et Sète (N2). « Je voulais mettre entre parenthèse les ambitions sportives et mettre en priorité ma vie familiale en se rapprochant de mon Rhône-Alpes natal. Rumilly, c’est un bon compromis. J’ai toujours dit que je n’étais pas venu en pré-retraite, j’ai 27 ans et je vais jouer en N2 avec humilité et grand plaisir. »
Trois joueurs emblématiques pour trois équipes qui appartiennent au même territoire mais qui ont pourtant déjà des aspirations différentes. Steven Pinto Borges, Manu Imorou et Vincent Di Stefano ont été partie prenante et des éléments moteurs pour permettre aux trois équipes haut-savoyardes d’accéder à la division supérieure. Une fin de championnat prématurée à cause de l’épidémie de coronavirus, mais comme dirait l’autre : l’essentiel c’est les trois points, ou plutôt la montée pour le coup.
Embouteillages à venir ? Destination Ligue 2
La Haute-Savoie aura donc un club en N1 (Annecy), l’autre en N2 (GFA) et le dernier en N3 (Thonon). Embouteillage en vue ? Comment réussir à coordonner tous ces projets qui se sont lancés dans une course effrénée. Sur le moyen-terme, certains aimeraient toucher du doigt le monde professionnel et monter en Ligue 2.
Le FCA fait figure de locomotive, cet été le club annécien a créé une SAS pour avoir un projet aux « reins solides avec une vingtaine de partenaires historiques », relate Stéphane Loison, le président.
Annecy s’appuie sur son histoire, son stade et son bassin de population. La préfecture du département le reconnaît : elle n’est pas sur « une ambition Ligue 1 » mais se donne trois ans pour viser la Ligue 2. Les Rouges seront vigilants et vont arriver en N1 sur la pointe des pieds : « il faudra bien figurer dès la première saison pour se mettre au diapason car c’est un championnat très difficile », reconnaît Stéphane Loison.
A quelques kilomètres de là, Rumilly-Vallières ne s’attendait pas forcément à monter si vite. Mais voilà le GFA en N2. « On va quand même changer de dimension », reconnaît Ludo Jourdain, le directeur sportif du club. « On a été débordé cet été avec les appels et sollicitations, c’était de la folie avec les agents », poursuit-il. Heureusement Rumilly a pu se structurer et va tenter de se stabiliser en National 2. Le club de l’Albanais a augmenté son budget (800 000€ contre 680 000 l’an passé) et va tenter de défendre sa place.
S’il y a bien une équipe qui annonce clairement son envie de monter cependant : c’est Thonon-Evian-Grand Genève. L’ambition est claire et différents étapes ont été clairement définies. « Il faut arriver au plus haut niveau dès que possible. On peut parler Ligue 2 à terme mais à chaque année suffit sa peine, il faut gravir les échelons petit à petit », annonce Patrick Trotignon, président délégué du club. Le TEGGFC va aussi pouvoir utiliser autant de contrats fédéraux qu’il le souhaite pour étoffer son effectif et jouer la montée. Même si l’équipe bâtie dès la saison dernière apparaît déjà très compétitive.
Thonon espère donc palier son retard sur ses deux voisins en enchaînant les promotions. Viendra alors se poser l’épineuse question du stade, comme elle se l’était posée à l’époque de l’ETG. Maintenant qu’Annecy occupe le Parc des Sports, chaque club va devoir trouver des solutions sur son territoire. Cela permettra aussi de cultiver l’identité de chaque équipe, là où Evian-Thonon-Gaillard avait quelque peu brouillé les étiquettes.
Les trois projets rayonnent sur trois zones géographiques distinctes de la Haute-Savoie et pourront s’appuyer sur leur ancrage local. Cela pourra également offrir des derbys intéressants ces prochaines saisons. Les amoureux du foot pourront se régaler entre la N1 le vendredi, la N2 et N3 le week-end, il y en aura pour tous les goûts !
Pour faire briller le territoire, les clubs peuvent aussi compter sur le soutien du Conseil départemental qui accompagne les projets avec notamment des dotations annuelles selon la division. (50 000€ pour Annecy en N1 contre 27 000 pour Thonon en N3). « Un leader va trouver sa place à la force de ses résultats mais on n’oubliera pas les autres. On va accompagner tout le monde », explique Chrystelle Beurrier, vice-présidente départementale en charge des sports.
Un leader va s’imposer ? Peut-être. Mais il risque de se frotter à un plafond de verre. Thonon et Annecy parlent de Ligue 2, pas encore de Ligue 1, qui semble un monde à part, inaccessible. Un sentiment partagé par Denis Allard, président du District de la Haute-Savoie : « Je pense que ça serait le niveau maximum pour nous vues les caractéristiques du département : il n’y a pas que le foot avec énormément de possibilités de pratique sportive. »
Un nouveau rêve pour les jeunes
Après l’ETG, ces clubs vont pouvoir une nouvelle fois donner un exemple concret, un rêve accessible, aux jeunes footballeurs qui rêveraient de devenir professionnels. « Ca les motive, ils veulent tous tenter leur chance et tirer leur épingle du jeu, c’est positif pour tout le monde », se réjouit Grégory Ferrari, coach au FC Chéran au niveau départemental, qui joue dans le même coin que Rumilly. Les clubs amateurs vont aussi devoir suivre l’évolution de ces mastodontes pour récupérer ceux qui n’auront pas réussi à percer. « Certains jeunes sont très compétents dans nos équipes mais reviennent dégoûtés après avoir tenté leur chance. A nous de bien les suivre et de les récupérer » pour les réconcilier avec le foot, admet Laurent Zanchi, directeur sportif du petit club familial d’Epagny, à quelques minutes d’Annecy.
La pratique chez les jeunes justement est en plein essor dans le département, le foot se féminise aussi en Haute-Savoie, bien aidé par les résultats de l’équipe féminine de Thonon (D2). La Haute-Savoie compte également de bons clubs au niveau régional, comme Cluses Scionzier, où joue toujours un certain Olivier Sorlin, ancien capitaine de l’ETG. Décidément le spectre des Croix de Savoie n’est jamais bien loin.